La vie est une sale chienne . Elle te prend , elle joue avec toi et ensuite , elle te fracasse . On ne se demande même plus pourquoi toutes les filles sont devenues des salopes . Elles sont toutes brisées . Par les hommes . Par la vie elle-même . Perverties complètement par cette chienne de vie . Les chats ne font pas des chiens c’est sûr . Les chiennes font donc… des chiennes . Voilà pourquoi je suis comme ça aujourd’hui . La vie m’a rendue comme ça et pour cela , elle a utilisé quelques crétins parce qu’en bonne garce la Vie délègue . La Vie ne fait rien elle-même . Elle libère la monstruosité et elle te laisse au bord de la route , sans personne . Ca sert à rien de se battre d’ailleurs . La Vie est plus forte que toi . Elle te rebrise sans problème . Elle n’a aucun scrupule . Alors , j’ai appris à ne pas en avoir non plus .

La forêt est grande . La forêt est dense . La forêt est obscure . Tu trébuches . Pourtant , tu ne le quittes pas des yeux . Tu préfèrerais crever plutôt que de le faire . Les ronces pourtant s’en chargeront . Tout t’effraie ici . Mauvais pressentiment . Mais , il est là alors , tu essaies de te calmer , de te dire que ça va aller . Tout ira avec lui . " Papa , papa , on est bientôt arrivés ? " Je ne savais même où nous allions . Ce fut longtemps après que je me suis rendue que ce jour-là , il m’avait amenée tout droit en enfer . Mais à l’époque , j’étais encore naïve , j’avais dix ans . L’âge de l’innocence . L’âge où il aurait pu me dire de sauter que je l’aurais fait sans y réfléchir . L’âge où tout me semblait possible . Où avoir un père qui m’aimait à la folie semblait évident . Tellement évident que je ne m’étais méfiée . On dirait comme un de ces contes de Grimm ou de Perrault . Un mauvais remake du Petit Poucet . A croire que mon père était le seul adulte à lire mais surtout à reproduire les péripéties du conte . En tout cas la première . " Bientôt ma chérie . Bientôt je te le jure . " Connard . Va crever . Fais-toi bouffer les yeux par un vautour . Il n’y a qu’eux capables de manger autant de pourriture . Papa , t’es plus là mais je tiens quand même à te le dire : t’es qu’un pourri . Un sale pourri . Le pire c’est qu’il m’a sourit à ce moment . Pure hypocrisie . Je le regardais avec mes grands yeux clairs et purs . Clairs comme l’eau . Purs comme l’innocence . Je me rappelle de ce jour là . Comment pourrais-je l’oublier ? Je me rappelle qu’après cette phrase , je lui ai sourit aussi . Il était mon seul parent , rien que sa présence me remplissait de bonheur . J’étais égratignée de partout mais j’étais heureuse . Stupidement heureuse . Naïvement heureuse . Mes égratignures étaient parties bien vite . Les ronces ça ne marque pas longtemps . Mais , mon cœur il avait été meurtri à jamais par ce qu’il a fait . Il m’a laissée dans la forêt . Oh bien sûr , c’était un père attentionnée il m’a indiqué où aller . Je me souviendrai toujours de ce bout de papier . Continue tout droit . Je suis désolé ma chérie . Frederik Zherdev . Il ne se considérait plus comme mon père . Je n’étais plus que " sa chérie " mais combien avait-il eu de " chérie " après moi ? Sûrement des centaines . Pourtant , j’étais unique . J’étais sa fille . Aucune de ses putes pouvait me surpasser . Mais , il m’avait laissé . J’étais devenue encombrante . Alors , il avait trouvé un endroit où je serai avec des gens de mon niveau : l’orphelinat . Là où on jette les pauvres petits orphelins autrement ça pullule dans les rues , c’est pas bon , on se retrouve avec plein de dealer et de prostituées trop jeunes . Forcément quand il y a des parents indignes , lâches , pas assez responsables . Alors , j’ai suivi les indications de mon père . A cette époque , c’était encore mon père . Et puis je suis arrivée devant l’orphelinat avec mes grands yeux purs et innocents . Ils m’ont prise . Par contre , je lance un appel désespéré pour trouver ma pureté et mon innocence , je les ai perdues là-bas .

" Bienvenue . Je crois qu’on est dans la même galère ! C’est quoi ton p’tit nom ? " Je ne prends même pas la peine de le regarder . L’entrée était tellement plus belle . Tellement remplie d’espoir . " Plus pour longtemps . Mon père va venir me chercher de toute façon . Il s’est perdu en forêt . " Je n’étais pas bête à l’époque . Je savais que voulait dire ce " je suis désolé " dans sa lettre . J'étais devenue trop dérangeante avec cette énergie débordante et cette dyslexie plus qu'encombrante . Mais l’Espoir fait vivre . Et à ce moment , j’avais besoin de vivre . " Si tu remballes les gens comme ça , je comprends pourquoi personne n’est venu te parler plus tôt ! C’est toi alors la gamine à la lettre ? Je suis désolé mais… Il ne reviendra pas . On est tous dans le même cas . On espère tous qu’ils reviendront un jour mais te voile pas la face , tes vrais parents ne reviendront pas . Ils ne t’aiment pas . La seule chose que tu peux espérer c’est d’en avoir de nouveaux . " Je me tournai vers lui . Plus grand que moi . Blond aussi . Beau . Extrêmement beau . Je détourne aussitôt le regard . " Toi aussi tu as espéré qu’ils reviennent ? " Il s’assoit près de moi . Sa présence me perturbe . J’aurais du m’en méfier de ce spécimen là mais , c’était le premier qui venait me parler et finalement , j’avais plus que besoin de compagnie . " Oui . On l’a tous fait . C’est pour ça que je t’ai dit qu’on était dans la même galère . Au fait , moi c’est Demyan ! Allez viens avec moi , on va aller manger " Je n’ai pas pu résister à son regard . Si rassurant . Ni à son sourire . Si éclatant . Je l’ai suivi . C’était la première fois . Et puis il y en a eu d’autres , tellement d’autres .

" Allez viens ! " Je n’eus même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il m’avait déjà empoigné par le bras . Mais j’aimais tellement quand il me touchait Demyan . C’était quelque chose d’incroyable , un truc que je n’avais jamais connu . Pourtant je n’osais jamais le toucher ou le regarder trop longtemps . Ce n’était pas dans mes habitudes . Quand j’aimais bien quelqu’un je le montrais , je collais souvent les gens mais pas là . Je l’aimais tellement que je n’osais . De toute façon , Demyan me faisait peur mais j’aimais avoir cette peur là . Il avait ce contrôle sur moi , il pouvait me mener là où il voulait car moi aussi je le voulais . " Tu vois c’est facile Asty , tu peux le faire . " Je le regardai . Je savais que c’était une mauvaise idée . Une très mauvaise idée . J’hésitai . " Je crois en toi . " Le choix était fait . Je me relevai en lui lançant un dernier regard . Je m’élançai . Les autres de la troupe me regardait , tous bien cachés . Je m’approchai de la directrice . " Madame ? Excusez-moi de vous déranger mais je voulais savoir … J’ai perdu un cahier , l’auriez-vous vu ? " Je détournai le regard . Je n’écoutais même pas ce qu’elle me dit . Comme si j’avais perdu un livre . Je jetai un bref regard à Demyan . Bref seulement parce que je savais ce que j’allais y voir . De la colère . J’avais failli à ma mission . Demyan n’aimait quand je ne faisais pas ce qu’il voulait . Je suis revenue piteusement vers lui . " Je croyais en toi ! Tu croyais quoi ? Que t’allais pouvoir t’en tirer aussi facilement ? Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans le jeu ? J’ordonne , tu t’exécutes petite débile c’est pas assez clair pour toi ? Tu fais que je te fasse un dessin ? Non attends , j’ai mieux ! " Et là dans un excès de rage , il m’a plaqué contre le mur . Me tirant sans aucune difficulté les cheveux , me serrant le bras . "  Tu comprends mieux là ? Je t’avais bien expliqué comment ça marchait ici . Tu es la dernière arrivée certes mais tu as un cerveau et arrête de pleurnicher , elle va nous entendre . Donc je te laisse une minute . Tu t’essuies les yeux et t’y retournes et tu dis exactement ce que je t’ai dit de dire . Autrement… je serais obligé d’employer une autre méthode . " Voilà pourquoi il me faisait peur . Un contrôle absolu sur moi mais surtout sur tout l’orphelinat . Une puissance incroyable . Un charisme efficace et plus que sensationnel . Il avait tout pour lui . Alors , je suis repartie après m’être remise et m’être recoiffée . Il s’est remis en place et quand je me suis de nouveau engagée , je l’ai regardé . Un sourire ornait son di beau visage . Ce n’était pas de la joie . Il était narquois , je le sais maintenant . Mais quand j’avais encore dix ans , il me restait encore de la naïveté et puis , j’étais trop aveuglée . " Encore désolée Madame pour vous dire que j’ai retrouvé mon cahier , merci de m’avoir aidée mais je n’étais pas là pour ça à la base . Mais je voulais savoir si... Je voulais savoir si vous étiez une garce psychotique , complètement frigide doublée d’un tyran ? Parce que c’est pourtant si évident , mais vous n’avez pas l’air de le v…. " Première claque . Je me crispe parce que je sais que je n’ai pas fini . "  De la voir ! Qu’est-ce que ça vous fait que votre mari se tape l’infirmière dans la réserve ? "  Je relève le regard . Je la défie . Je le fais pour Demyan , il m’avait dit de le faire alors… je le fais . Deuxième claque . Je ravale mes larmes . C’est pour lui , c’est pour lui . Elle me prend pas le bras et m’amène dans la cave . J’ai vécu les trois jours les pires de ma vie . Enfermée dans le noir . Le dos brûlant des coups de martinet reçus . Mais le pire c’était le noir . Le noir que je déteste tant depuis que mon père m’a laissé dans une forêt obscure avec une simple lettre . Je déteste les lettres . Je déteste mon père . Je le déteste de m’avoir laissée seule . Je n’ai plus envie d’être seule . Mais il y a Demyan . Heureusement qu’il y a Demyan pour me sauver du noir environnant .

" Demyan ? " Je le regarde . Faisant les grands yeux encore une fois . " Demyan ? "  Je répète son nom . C’est comme une caresse . Mais il continue de parler à une autre fille , beaucoup plus jolie , beaucoup plus intéressante que moi . " Demyan.. Je crois que l’autre te parle . " Elle , me dévisage . Comme si j’étais un extra-terrestre . Ou une sombre merde . Les autres ne me regardent pas à l’orphelinat . Ils m’humilient . Parfois j’ai l’impression qu’il n’y a que Demyan qui pense le plus à moi ou le moins justement . Je suis perdue avec lui . Cela fait trois ans que je suis ici , que je le connais et depuis toujours , je n’ai pas trouvé ma place . Ah si , je suis bête , je suis le petit chien ou la bonniche , celle qui suit et qui fait ce qu’on lui demande . Et si il y a un truc à redire on lui fait comprendre… et pas de la manière la plus douce . " Est-ce que… Elle peut partir s’il te plaît ? " Demyan hausse un sourcil , se retourne vers l’autre brune . Elle hausse les épaules . C’est comme s’il réapprenait le fait que je pouvais demander quelque chose . Puis elle part . Tant mieux . Je l’aime pas celle-là . Elle est trop proche de mon Demyan . Il me regarde , impatient de savoir de savoir ce que je lui veux . Lui tout simplement . Je baisse les yeux . Je cherche mes mots . Je cherche toujours mes mots avec lui . " J’en ai marre Demyan . Je… "  Ma voix s’épuise . Il comprendra . Il me regarde un instant , sourit faiblement . Et puis il me prend dans ses bras , me serre comme si… Comme s’il tenait à moi . " Je pensais que tu avais compris depuis le temps . Je croyais que tu avais compris qu’il n’y avait que toi . Que je t’aimais tout simplement . Je suis là pour toi Astoria . " Et là , je crois que ce fut le meilleur jour de ma vie . Mon premier baiser . De lui . Je savais que j’aurais du lui dire plus tôt . Il m’aurait consolé de suite . Nos lèvres se séparent enfin . " Par contre , je suis désolé mais ça va devoir rester entre nous… Tu le sais , ils n’aiment pas les relations dans l’orphelinat et si on le dit à quelqu’un… Il pourrait répéter à la directrice et on se ferait punir . Je veux pas que tu te fasses punir à cause moi , je le supporterai pas donc on va devoir faire semblant d’accord ? " Je lui souris encore et je m’en vais rassurée . Il m’aimait . On s’en fout de toutes les brunes du monde . Il m’aimait c’était le plus important . Et , moi aussi .

" Oh abrutis , elle est où la salope ? " Demyan qui arrive en trombe . Journée portes ouvertes à l’orphelinat . Je me cache . Comme à toutes les journées portes ouvertes , on arrive à me trouver et à m’en faire voir de toutes les couleurs . Et ce depuis le début . Je crois qu’à la base c’est parce que la famille qui avait pris contact avec Demyan pour le prendre , c’était ressaisi en me voyant et depuis… Ils me trouvaient , me massacraient un jour avant ou le jour même –si ce n’était pas plus tôt- pour que je ne sois pas présentable le Jour J . " Tu parles de qui ? " Je vois Demyan qui se retourne juste devant moi . Je me suis bien cachée visiblement . " T’en connais beaucoup des connasses dans son genre ? Astoria , trouve-la et vite , ça va bientôt commencer . Si je la vois en état je te jure que je m’occupe personnellement de ton cas . " C’est froid , c’est glacial . A ça tu n’as pas envie de répliquer . Je finis par sortir . Je préfère me faire passer à tabac par le petit rat qui lui sert de sbire plutôt que par Demyan lui-même . Il m’aime mais pour faire semblant , il devrait me faire mal et… il aurait autant mal que moi . Alors , je prends sur moi et j’encaisse . J’arrive la dernière dans le jardin . J’avais essayé de me coiffer pour être présentable mais les familles qui voulaient adopter me regardaient de travers . Elles murmuraient entre elle . "  Mademoiselle Zherdev , qu’avez-vous encore fait ? " La directrice . Je crois qu’elle ne m’a jamais pardonné pour le premier coup et pour tous les autres après en fait . Mais , je n’avais pas le choix . Je me devais d’obéir . " Je suis tombée dans les escaliers… Je suis désolée , j’ai essayé de… " Je ne sais plus quoi dire . J’ai du mal à me tenir debout . Mes jambes me font mal . Et le mensonge n’est pas ce que je fais le mieux même après toutes ses années . Quatre ans . " Vous êtes bien maladroite Mademoiselle Zherdev . "  Et elle part comme elle est venue . Toujours aussi froide . C’est du laxisme dans cet orphelinat . Cette journée se passe comme toutes les autres . Elle est longue . Demyan est trop occupé à faire les yeux doux . Mais , personne ne l’a pris depuis longtemps . Les temps sont durs chez nous . On est trop vieux . En plus Demyan est assez énergique , un peu trop même . Et puis , le soir après l’agitation Demyan vient me voir . Dans ma chambre . Il me rejoint sur mon lit . Il survole mes lèvres . " Je vais partir . Je pars demain . On aura vécu de belles choses ensemble . " Il m’embrasse encore une fois mais je me détourne . Les larmes montent . Quatre ans avec lui , il ne pouvait pas partir . Il ne pouvait pas me laisser seule . Toute seule . Il pouvait pas . " Ne pleure pas . On gardera contact d’accord ? Je te le promets mais… on pourrait profiter non ? Pour ne jamais oublier cette soirée . " Et là il m’embrasse avec fougue , avec passion . Je le laisse faire , je lui rends même ses baisers . J’aime quand il pose ses mains comme ça sur moi , j’aime quand elle se ballade . Il est à l’aise quand ses mains passent sous mon tee-shirt . " Tu , tu fais quoi ? " Il laisse ses mains se balader quelques secondes avant de les retirer . Il soupire . " Fais pas ta prude Asty’ , on ne se verra peut être jamais . J’ai tellement envie de toi , tu es si belle …. " Il attend . Et puis , il se lève . " Demyan ! Demyan ! Reviens ! " Je le suis . Je ne veux pas qu’il parte . Moi aussi j’ai envie de lui . Envie de lui tout entier ! Il arrive à la porte . Mon cœur commence déjà à se fendre . Cela serait horrible s’il partait . S’il partait maintenant . " Tu es sûre ? " Il à la poignée dans les mains quand il me demande . Je m’empresse alors . " Oui , oui , oui ! Je t’aime , je t’aime , à la folie même ! " Et il accourt presque vers moi . L’amour lui donne des ailes ! Il continua ce qu’il avait commencé . C’est-à-dire me dépuceler . Et puis , il est parti . De ma vie . Pour toujours . J’ai jamais entendu parlé de lui après . Les autres l’ont vite oublié . Moi par contre , pas du tout . Ma tourmente n’a pas fini pas avec lui . Ce fut même pire . Parce qu’il n’était pas là .

Dix-huit ans . L'âge de la maturité . Foutaises ! Je vais te la faire bouffer par tous les trous ta maturité . Dix-huit ans c'est l'âge de la liberté . A mes dix-huit ans , ils m'ont laissé me débrouiller . Mademoiselle Zherdev a pris son envol . Ca y est , on l'a enfin laissé errer dans la Nature . On se fout de son avenir . Mais vous savez quoi ? Mademoiselle Zherdev aime se sentir libre . Je suis revenue dans la ville de ma naissance , Kolomyia. Certes , ça avait changé en huit ans mais j'avais encore quelques marques . Quelques marques . Comme celles gravées dans mon coeur . Mon coeur , cette plaie béante . J'ai trouvé un coin de rue . Si seulement j'avais trouvé un coin de paix . J'avais encore les stigmates des autres . De l'orphelinat . Mon coeur est meurtri . Les bras couverts de bleus , les cheveux en bataille . Mais , les autres n'étaient plus là . J'étais seule . Totalement seule . Et cela ne cessait de me réconforter un peu plus . Libre . J'étais libre . J'aimais ce mot . Liberté . Liberté chérie . " Je peux vous aider ? " Je relève la tête . Merde , je ne l'avais pas entendue arriver celle-là . J'aurais pu m'attendre au pire , j'étais dans un sale état après tout . Mais... Qu'est-ce qu'une vieille au visage parchemineux pouvait contre moi ? Rien pourtant , je m'étais méfiée d'elle . Les rues étaient terribles . Les enfants étaient terribles . La Vie était terrible . La seule chose qui ne l'était pas , c'était moi . " Venez , venez , vous êtes mal en point . " Elle m'a tendu la main . Je l'ai prise . Dans un élan de désespoir énorme . De laisser-aller profond . Après tout , j'étais tellement abîmée . Que pouvait-elle faire ? Que pourrait-elle sauver ? Probablement rien .

" Mais... Qui c'est que je vois ? " Sourire carnassier . Un truc à vous faire flipper mais pas à moi . Plus à moi . Je relevai la tête en signe de défi . L'Astoria de dix ans , l'Astoria de l'orphelinat , l'innocente , celle qui se laissait faire n'existait plus . La grand-mère avait essayé de recoller les bouts . Mais finalement j'étais trop cassée pour être réparée . Je sais même pas pourquoi elle avait essayé . Elle m'avait nourrie . Accueillie . Elle avait essayé de m'aimer . Mais je n'étais qu'une petite ingrate . J'en avais profité pour me retaper . Maintenant que j'avais appris à soigner mon apparence , j'avais appris à m'amuser . J'étais devenue désirable . Plus que désirable . Pas pour mon côté canin , pas pour mon côté "je suis tout le monde" . Mais pour ma plastique de rêve . J'étais enfin devenue désirable . Les filles des magazines ne m'intéressaient plus . Puisque j'étais devenue moi-même une de ces filles . Je m'habillais donc en conséquence . Et ce soir n'était pas pas une exception à la règle . Tee-shirt trop décolleté , jean trop moulant pour passer inaperçue . La preuve , lui m'avait remarqué . Il se rapprocha de moi de sa démarche assurée . J'étais encore plus assurée que lui . C'est ce qui m'avait plus chez . Un gosse de riche prétentieux . Il avait des leçons à apprendre . Comme celle de la modestie . " Astoria , la si belle... J'ai tellement envie de... " Sa phrase resta en suspens . Mais je savais exactement ce qu'il voulait . Moi . Mon corps . Tout . Après tout , j'étais devenue désirable . Je ne m'étonne donc pas quand il s'approche de moi jusqu'à que nos deux corps s'effleurent . Que ses lèvres rencontrent mon cou . Que son revolver dise bonjour à la courbe de mon dos . " T'exploser la tête espèce de chienne nymphomane ! Tu crois que t'allais t'en sortir comme ça ? Que t'allais te barrer innocemment avec mon fric ?  " Le flingue suit la ligne de ma colonne avant de se loger à la base de mon cou . J'en frissonne . Adrénaline . Peur . Colère . Nymphomane ? Il avait bien dit ça ? Il est sérieux ? Portée sur la chose certes mais pas à ce point là . La nymphomanie est une maladie . Et , je ne suis pas malade . Et puis cela le dérangerait tant que ça si je l'étais ? Non . Bien sûr que non . Prétentieux et menteur . Violent et sadique . Ce Roman avait tout pour plaire décidément . J'avais le don pour les choisir visiblement . Demyan . Roman . Deux personnalités fortes . Simple coïncidence ? Non . Même moi je le savais . " Vas-y , explose-moi la gueule je t'en prie ! J'aurais au moins connu un gros calibre avant de mourir . C'est vrai que tu m'as habitué à bien plus petit . " Suicidaire . Je suis suicidaire . C'est prouvé . La preuve en image . C'est chercher la merde dans une situation impossible . Demyan . Ce mec me fait toujours perdre la tête . Je sens sa main sur mon bras . Qu'est-ce que j'aurais fait pour que ce soit lui qui soit là . Qui me prenne comme ça . Qui me touche comme ça . Mais il n'était plus là . Il ne serait plus jamais là . " Tue-moi ! TUE-MOI BORDEL ! " Ta voix se brise . Au bord des larmes . Tu sanglotes . Ta couverture se fendille . Elle se brise totalement . Ton apparence de salope libineuse s'effrite à ce seul nom . Et la mort te semble ta seule échappatoire . A cette malédiction . A ces amours encore présentes . A ces bribes de souvenirs . A ce nom . Demyan . Tu le revois . Ta vie défile à tes yeux . Elle te semble misérable , dépourvue de sens . Elle l'est en réalité . Tu as passé trop de temps à t'amuser , t'éparpiller . Te venger . C'est ce que tu regrettes , ce que tu n'as pas pu faire . Ton père . C'est lui la cause du problème . Pourquoi n'a-t-il pas pu garder ta mère à ses côtés ? Il était incompétent alors , il a envoyé en enfer sa fille trop difficile à contrôler . Pourtant tu débordais d'amour pour lui . Comme tu débordais d'amour pour Demyan . Lui aussi mériterait ta vengeance . Après tout , c'est peut être lui le plus gros salopard de l'histoire . Non , non , tu abandonnes cette idée . Tu voudrais l'abandonner , lui tout simplement . Et tandis que tu rêvais à ses pensées vengeresses , il ne se gêna pas pour tirer . Pan . Game Over .

Le soleil commençait à poindre . J'ouvre un oeil puis l'autre . Sept heures . Le début d'une autre journée de cours ennuyeuses . Parfois , je regrette la rue . La loi de la jungle . Du plus fort , du plus malin . Je regrette la liberté . Kolomyia . Mais , on ne va pas se voiler la face au Camp , il y a un tas de problèmes en moins . La bouffe . Le fric . Et des tas de bons points en plus . Les mecs . Demi-déesse -je savais que j'étais trop douée pour être normale . Mère . Mère . Vengeance . Pouvoir . Ce genre de trucs . Ce genre de trucs géniaux que ne peuvent pas faire les gens normaux . Parce que nous ne sommes pas des gens normaux . Nous sommes des demi-dieux . Des êtres à part . Extraordinaires . Formidables . C'est ce qu'on m'a dit . Il a pas du trop insister pour me le faire comprendre . De toute façon après avoir pris un coup dans la poitrine et sans le sous , j'aurais pu suivre le mec jusqu'au bout du monde . Même si c'était un proxénète tchétchène . Après tout c'était beau la Tchétchénie mais le Camp des Sangs-Mêles est beaucoup mieux . Plus de possibilités , de confort . De sécurité . Parce qu'armée je pouvais faire ce que je veux non ? Je pouvais bien faire tout ce que je voulais . Me venger . Oh bien sûr , c'est encore à l'état de projet . Machiavélique certes . Mais projet quand même . Secret . Il ne fallait que personne sache ce que je voulais vraiment . Me venger de ma mère , la voluptueuse Hécate . En attendant , on passe ses nerfs sur les autres . Il faut bien . Je passe le temps à séduire , enjôler , m'amuser , comploter , belle vie non ? On peut dire ça comme ça .