Il avait le coeur au bord des lèvres, comme tous les jours depuis son réveil. Il était plongé dans cet état second, muet, le regard fade. Aussi fade que lui qui d'ordinaire débordait de vie. Plus maintenant. Aujourd'hui, il se sentait creux, aussi vide que son esprit. Il n'y avait plus rien dans la boîte à images, plus rien dans la bibliothèque de ses souvenirs. Deux ou trois bribes, des semblants de quelque chose qui autrefois était son passé. Rien de vraiment concret, puisque tout demeurait flou. « Pourquoi est-ce que je ne me souviens plus de rien ? » Il questionnait sa mère, encore. Ça faisait combien de fois déjà ? Peut-être trente. Peut-être mille. Ce ne serait jamais suffisant pour lui. Parce que Titus, parce que. Voilà ce que disaient ses yeux. « Ça reviendra Titus. Ça reviendra, avec le temps. » Un an, ce n'était rien. Une décennie, ça commençait à faire. Dans un siècle, ce serait trop tard. Il passait nerveusement ses mains dans ses cheveux, avant de les glisser sur son visage, pour les faire repasser sur sa nuque. Et il recommençait, sans s'arrêter, à taper du pied par terre. « Qu'est-ce qui s'est passé ? » Il se souvenait juste des gyrophares, de la douleur lancinante dans son crâne. Du deux tons qui résonnait dans tout le quartier, en plein milieu de la nuit. « Tu le sais très bien. » Il secouait la tête de gauche à droite, non, il ne savait plus. Il ne se rappelait pas de l'accident, de son magnifique plongeon à travers le pare-brise, de sa chute un peu trop brusque. La main fébrile, il récupérait ses cachets qu'il s'empressait d'avaler. « Calme-toi avec les pilules, ce n'est pas ça qui va te rendre la mémoire. » Non, c'était sûr. Mais au moins, il était assez endormi pour ne pas se poser plus de questions, assez abruti pour se taire et se contenter de sa léthargie.

Le silence s'installa brièvement entre les deux. Il creusait un fossé, qui s'élargissait, alors que les minutes s'égrainaient paisiblement à la pendule du petit salon. Plus le temps passait, plus il en devenait infranchissable. Est-ce qu'il aimait sa mère, avant ? Question douloureuse qui appuyait sur les ecchymoses de son petit coeur. « Tu vas retourner au camp, c'est ce qu'il y a de mieux pour toi. » Il relevait le regard vers elle. Avait-elle perdu la raison ? Était-elle encore sous le choc ? Le camp. Il s'en souvenait, juste un peu, la femme s'était chargée de lui rapporter les éléments manquants. C'était tout ce qu'elle pouvait faire pour lui, de toute façon. « T'es folle ? Comment est-ce que je pourrais y retourner, hein ? J'vais me pointer comme ça, l'air de dire : salut la compagnie, j'suis amnésique, soyez indulgents. J'peux pas. » Il regrettait déjà ses mots, il n'aimait pas lui parler comme ça. Mais, la simple idée de retourner là-bas le faisait disjoncter. Il aimait le camp, oui, bien sûr. C'était sa maison, son foyer, sa famille. C'était toute sa vie. Mais comment y retourner, maintenant qu'il ne se souvenait plus d'eux ? Maintenant que tout ce qu'il avait accompli là-bas s'était évaporé dans les limbes de son esprit ? « Mais eux Titus, eux, ils se souviennent de toi ! » Elle haussa la voix. Elle avait raison. Eux, ils s'en souvenaient du jeune Monroe. En bien, en mal, quelle importance, tant qu'il était quelqu'un pour eux, maintenant qu'il n'était plus personne pour lui-même. « Je veux pas. Je vais faire du mal à des personnes que j'apprécie. Peut-être même à quelqu'un que j'aime. Comment je pourrais les regarder en face. » Il retournait dans sa contemplation du pavé. Peut-être devait-il cesser de penser aux autres un peu. Peut-être devait-il commencer à penser à lui. « Mais c'est là-bas ta vraie maison Titus ! » Il avait le regard humide, son âme vacillait à l'intérieur. C'était à double tranchant ; il ne voulait pas les abandonner, mais il ne se sentait pas la force de les affronter, désormais. « Si tu ne le fais pas pour toi, fait le pour eux. »

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« Aspen ? Euh, tiens, je devais te rendre un bouquin apparemment, je sais plus trop, tu me l'avais passé il y a bout de temps déjà et euh. » Elle souriait, il lui tendait l'ouvrage en question. « Merci. » En effet, cela faisait un bout de temps qu'il avait ce bouquin, il lui avait pris il y avait de cela quatre mois, soit, juste avant son accident. « Dit, si tu veux, tu pourrais venir ce soir, vu que c'est Samedi, on a préparé un truc près du lac. » Essayer de renouer avec les anciens amis, de faire comme si de rien n'était, comme s'il n'y avait jamais eu d'accident. Voilà à quoi se résumait sa vie, depuis quelques mois. « C'est gentil Titus, mais je suis déjà ailleurs. Et puis, moi, c'est Siloë au passage. » Et elle disparaissait. Comme les autres. C'était dur de continuer à être le même garçon un peu fou, de garder ce panache, cette joie de vivre, maintenant qu'il avait ce vide au fond de sa personne. Il avait l'impression d'avoir toujours une longueur de retard côté relation, et ça le rendait complètement dingue. Un nom qui lui échappait, une anecdote d'un passé commun qu'il avait oublié... Ou encore des personnes qui avaient préféré l'oublier lui et son amnésie, l'effacer de leur existence, simplement. Il ne pouvait pas leur en vouloir, non. Presque pas. Toutes ces petites choses faisaient que la vie aujourd'hui n'était plus la même pour le fils d'Héphaïstos. Mais comme toujours, il gardait la tête haute, il ne se laissait pas abattre. Il ne pouvait pas laisser tomber, pas maintenant. Car même s'il ne le faisait pas pour lui, il devait le faire pour eux.