Onze ans déjà. Onze ans que j’ai quitté ma catin de mère pour rejoindre ce camp. En fait, en y réfléchissant bien, je me demandais ce qui était le pire. Penchons-nous sur la question. Entre voir sa génitrice régulièrement, elle et sa chevelure blonde, sa gueule surfaite déguisée avec une surcouche de peinture, ses ongles manucurés façon péripatéticienne, ses bijoux claquant et visibles même la nuit, sa personne trempant dans les affaires louches d’une mafia sortie de je ne sais où ; et un camp d’attardés consanguins, appelés les sang-mêlés, où se trouve des types mi-corps de poney mi tête de con nommés Centaures, des catins appelées Nymphes, et des sabots poilus portant le nom de Satyres… Sincèrement, la balance fait à peu près du cinquante-cinquante, niveau situation de merde. Vous me prenez certainement pour un timbré sociopathe. Laissez-moi vous conter mon histoire…



Il y a vingt-quatre ans de cela, j’ai vu le jour à Canberra, la capitale Australienne. J’ai vécu élevé par ma génitrice. Seule à s’occuper de moi, on a rapidement quitté le territoire Australien. Pour son travail, qu’elle disait. Je devais avouer que Crystal – ma mère – était relativement friquée. De ce fait, vivre sur le territoire Américain ne fût pas chose compliquée. Lorsque j’étais un peu plus vieux, aux alentours des huit ans et ainsi en âge de comprendre, elle m’expliqua qu’elle était en fait directrice d’une ligne de vêtements de luxes. J’étais naïf autrefois, et je la croyais sur parole. J’idéalisais ma mère, malgré le fait qu’elle soit constamment absente, en « voyage d’affaires ». J’enchaînais les nounous, toutes démissionnaient après quelques semaines de garde, incapables de me supporter. J’étais monté sur ressort, je ne daignais rester calme le moindre instant. Elles étaient tranquilles seulement lorsque je me trouvais à l’école. Et c’était au tour des institutrices et de mes camarades d’en pâtir, lorsque tel était le cas.

De temps à autres, Crystal rentrait pour une à quatre semaines. Et finalement, avec le temps, je préférais ses absences, ce qui me rendait un peu plus agréable avec les nounous. Alcoolique et fumeuse de joints, je subissais les revers des vices de ma génitrice. Plus les jours s’écoulaient comme les larmes sur mes joues, plus je ressentais des difficultés à appeler cette femme qui m’avait donné vie, « maman ». A onze ans, je l’appelais déjà par son prénom. Parfois, je lui posais des questions sur mon père. Plus jeune, elle m’avait annoncé qu’il était décédé dans un accident de moto. C’était un cascadeur, et il prenait énormément de risques. Tant et tellement que cela provoqua sa mort. Puis, au fil des années, des verres de whisky et des bambous qu’elle se fumait, sa version de l’histoire de mon père se mit à changer. Elle eut pour habitude de parler convenablement de lui, autrefois. Et les insultes voguèrent de plus en plus régulièrement, dès que son nom était cité. Aaron Hyweak, mon géniteur, qu’elle me racontait. J’avais récupéré le nom de ma génitrice, Whitaker, suite à sa « mort ». Finalement, recollant les morceaux de cette histoire à propos de cet homme, j’en déduis qu’il était simplement parti à ma naissance.



Treize ans. Je venais de fêter mon anniversaire. Nous étions deux, pour célébrer cet événement. La demoiselle me gardant durant l’absence de Crystal, et moi-même. Quelques jours plus tard, la blonde qui me servait de mère rentra avec une hâte inhabituelle. Elle jeta Emma comme une merde, et me força à faire ma valise. « Dépêche-toi ! On a pas le temps ! » Hurla-t-elle. « Non. » Fis-je simplement, restant stoïque, sur un ton on ne peut plus glacial. « Pardon ? » « Dis-moi pourquoi. La vérité. Je veux toute la vérité. Et me parle pas en face, t’as une haleine de chacal, Crystal. » Treize ans seulement, et je répondais déjà à Crystal de la sorte. Elle me lança un sourire carnassier. « Tu veux la vérité ? Bien. Je n’ai jamais travaillé pour une ligne de fringues. Mon père m’a légué un héritage, un lourd héritage. Et aujourd’hui, je suis dans la merde. Des types armés des couilles aux dents arrivent ici, et ils comptent pas faire un barbecue autour de la piscine, une bière à la main. Soit tu te bouges, soit tu crèves la gueule ouverte. » Lança-t-elle sans prendre une inspiration. Le rouge lui était monté aux joues, tandis que je sentais une forme de rage monter en moi. La raison ? Je me sentais con. J’avais toujours fait preuve d’un brillant esprit d’anticipation et d’analyse pour mon jeune âge, et là, je n’avais rien vu venir. Je fermais les yeux. Sans bouger, je me laissais juste aller vers le néant.

Je voyais plusieurs types fracasser la porte d’entrée, armés effectivement de telle sorte à pouvoir faire tomber les murs de notre villa. Ils montaient hâtivement les marches pour nous atteindre, le bruit les attirant certainement. Enfonçant cette fois la porte de la chambre de Crystal, semi-ouverte, ils prirent possession de la pièce. Il ne leur fallut que quelques instants pour faire feu, et décorer les murs de notre sang rouge écarlate.

Mes yeux s’ouvrirent à nouveau. Je secouais la tête. Crystal me regardait d’un œil étrange. Celui-ci était à la fois empli de crainte, et de compréhension. Au rez-de-chaussée, on perçut le bruit de la porte d’entrée se faire enfoncer. « Suis-moi. » Fis-je à Crystal qui étrangement acquiesça sans sembler hésiter. Elle attrapa ma main, et je la conduisis dans le couloir sur lequel donnait sa chambre. Je fis remarquer à Crystal qu’elle faisait trop de bruits, et elle retira ses talons hauts. On se cacha dans la salle de bain durant quelques secondes, après quoi je donnais mon signal, et l’on sortit de la pièce pour descendre les escaliers aussitôt. Les dernières marches grincèrent, et les hommes descendirent immédiatement le bruit perçu. Crystal attrapa les clés de voiture en essayant de remettre ses chaussures. Elle chuta, et un homme nous rattrapa. Je m’étais légèrement caché en retrait, anticipant sa venue. Sortant de ma cachette, j’attrapais son arme d’une main et lui assena un coup de coude dans les parties. Il lâcha l’arme à feu, et d’un geste semi-volontaire, je laissais échapper une rafale qui lui transperça la poitrine. L’arme s’envolait presque durant l’action, tandis que je ne maintenais pas une tenue suffisante sur celle-ci. Je la lâchais aussitôt, et nous prîmes la fuite, montant dans le véhicule le plus rapidement possible, et démarrant en trombe. Nous quittâmes la ville et s’arrêtâmes dans un hôtel pour la nuit. Ma première victime. Et je n’étais pas choqué. Durant cette longue soirée d’été, elle me raconta toute l’histoire… Alors c’était donc ça. Demi-Dieu.

Voilà un bref résumé de mes treize premières années de vie. Fils d’une mafieuse et de je ne sais qui. Depuis cette nuit-là, je me suis en un sens rapproché de Crystal. Elle me protégeait et je faisais de même avec elle. Certainement du fait de cette capacité dont je faisais preuve, elle préférait m’avoir à ses côtés. Elle me présenta à la « famille », et malgré ce que certains racontaient, je devenais rapidement un homme de main. Après tout, j’avais fait couler le sang d’un homme à treize ans, ma vie était donc foutue, n’est-ce pas ? J’appris à manier l’arme à feu, ainsi qu’à me battre au corps-à-corps. Je fus également formé pour l’exécution, sans aucune forme de pitié. J’étais la fierté de Crystal et de cette organisation familiale. Puis un jour, on me donna la mission d’exécuter une femme. J’avais vingt ans, à ce moment-là. Rien de bien sorcier, en soi. Il s’avéra cependant que cette femme n’était autre qu’une créature mythologique, une Furie. Elle aussi, devait m’exécuter. Par chance pour moi, un autre homme de main m’accompagnant me tira d’affaire. Cet individu me raconta alors tout le reste de l’histoire, laissée inachevée sept ans plus tôt. Les Dieux existaient réellement, et les créatures mythologiques aussi. Ses jambes poilues et ses sabots le prouvaient. Il était mon protecteur, soi-disant, et il m’amena en sécurité. Un camp d’autres individus comme moi. Des Sang-Mêlés. Je n’eus guère de mal à quitter Crystal, en fin de compte, mais j’étais loin de me douter que j’allais regretter cette ancienne vie. Vingt ans, et un tueur né. Il était évident que j’allais devoir me faire passer pour celui que je ne suis pas…

Un sacré mélange génétique, quand bien même les Dieux n’avaient pas d’ADN. J’eus du mal à le croire et à l’accepter, dans un premier temps. Mais en vue de ce qu’il s’était passé, ce jour-là, je ne pouvais qu’y croire. Aujourd’hui, je trainais dans le bungalow des non-reconnus, me préparant à manger. « Tu fous quoi, avec ta hâche ? » Me lança un autre fils non-reconnu. « Ca s’voit pas ? J’me coupe des pommes. J’ai faim. » Fis-je, d’un air de non-compréhension de la question. Ce camp craignait vraiment. Mais au moins, je n’avais pas à me retrouver confronter au monde qu’était celui de Crystal. J’avais vingt-quatre ans, et étais un des plus vieux pensionnaires du camp, ce qui me valait l’honneur d’être sujet à certaines critiques. Mais qu’est-ce que j’en avais à foutre ?

J’aimais emmerder les gens.