Qui s'y frotte s'y pique

Le camp d’entraînement, ce n’était vraiment pas son territoire. Depuis le lycée, il l’avait continuellement réappris à ses dépens. Classé chez les défensifs, il tenait plus du morceau de chair dans lequel on se donnait l’autorisation de cogner que du vif bretteur qui attaquait sans relâche. Combien de fois avait-il été jeté, sans la moindre dignité, à terre par ses partenaires d’entraînement ? Combien de fois l’avait-on trainé dans la poussière ? Ses doigts ne suffisaient plus à compter. Il préférait définitivement faire marcher ses méninges plutôt que de laisser le sort décider pour lui au cours d’un corps à corps duquel il aurait peu de chances de réchapper. Il aurait aussi préféré –et de loin- être dans son amphi, allant et venant sur son estrade et scrutant ses élèves endormi d’un regard perçant… mais voilà… il était professeur, et il était de son devoir d’assister aux entraînements de ses élèves. La politique actuelle voulait qu’il rende compte du progrès effectué depuis le terrain, et non plus à travers de bonnes vieilles feuilles de papier ou il aurait su mieux s’exprimer.

Il était là depuis déjà deux heures, et le soleil n’avait eu de cesse de grimper, insidieusement, sournoisement, pour bientôt parvenir à son zénith, afin de parfaire l’agitation qui régnait autour de lui et de le couvrir un peu mieux d’une fine pellicule de sueur. Si son pouvoir n’était pas dans les muscles, il était ailleurs, mais le combat était perdu d’avance, allez expliquer à un fils d’Arès que les épées et les lances ne sont pas les seules armes efficace contre l’ennemi et ils vous couvriront de ridicule. Léon marchait donc, à pas lent, entre les groupes de travail, son regard perçant allant et venant des uns aux autres. Certains combats étaient loin d’être équitables, mais il ne pouvait s’empêcher parfois d’être admiratif : ils mettaient tous du cœur à l’ouvrage. Il s’apprêtait à rebrousser chemin pour consulter Caldwell au sujet d’un ou deux individus quand un cri sonore retenti.

Il ne s’agissait pas d’un cri de détresse, mais bien de cri de rage, suivit du bruit lourd d’une chute qui lui fit faire volte face.

Qui s'y frotte s'y pique

Une véritable furie. Entre nuage de poussière et concert de hurlements et de cris de rage, une Thêta venait de traîner son adversaire face contre terre, épée au poing, lame contre la gorge, et pied victorieusement posé sur la plastron. Léon fit une grimace, oh, bien sûr, il y avait un certain panache dans la manière dont la jeune fille toisait la malheureuse qui avait accepté de combattre avec elle. Mais en tant que professeur, il ne pouvait pas la laisser plus longtemps faire preuve de sa supériorité écrasante, sans quoi sa partenaire mourrait étouffée bientôt. Tout aussi pitoyable que lui lorsqu’il était vaincue, la pauvre fille suffoquait et peinait à respirer, la poitrine écrasée et le visage couvert de poussière, il s’approcha non sans une certaine appréhension. « Je crois que nous allons en rester là. » Fit-il, se gardant bien d’entrer en contact avec la furie. Seul dieu savait de quel genre de réaction violente elle pouvait faire preuve à cet instant. D’un revers de manche rapide il essuya la sueur qui perlait sur son front et entreprit d’aider la bien nommée vaincue à se relever. Celle-ci ne refusa pas son aide – à son grand soulagement – et il pu lui faire faire quelques pas afin de l’écarter de sa partenaire, jetant le « Vous, attendez-moi ici ! » le plus strict qu’il possédait en magasin à cette dernière.

La différence entre Alphas et Thêtas était sensible. Un même cas de figure ne prenait pas la même ampleur d’une classe à l’autre. Si un Alpha vengeur s’était mis en tête d’assommer son coéquipier au cours d’un entraînement, il n’aurait pas eu besoin d’intervenir, cela faisait partie de leur entraînement. S’ils devaient apprendre à combattre, ils devaient aussi savoir se relever, les Thêtas n’en étaient pas au même point. Lors des entraînements, les capacités d’échanges et de communication étaient valorisées, il s’agissait d’apprendre à décoder le langage corporel de son adversaire et de porter par la suite le coup adéquat, certains avaient tendance à négliger cet aspect et préféraient de beaucoup l’avalanche de coups. Lorsqu’il eu fait asseoir la jeune fille en lui recommandant de faire une pause, il se débarrassa de sa veste. Il avait définitivement trop chaud. Il retroussa patiemment ses manches jusqu’aux coudes, et avec l’air caractéristique de quelqu’un qui ne veut pas laisser transparaitre son anxiété naturelle, il fit demi-tour, en direction de Roshario.

Avec toute l’assurance dont il pouvait faire preuve –surtout avec un ton professoral en fait-, il vint se poster devant elle et lui adressa un « Quel votre nom ? » net. Puis, en baissant la voix pour prévenir des oreilles trainantes « Vous avez failli étouffer votre partenaire, non que cela soit clairement interdit, mais vous pouvez être sûre de vous faire de sacrés ennemis en combattant de cette façon. » Puis, avec un regard perçant « Pourquoi n’avez-vous pas usé de votre don ? »

Qui s'y frotte s'y pique

« Notherfield. Roshario Notherfield . » Avait-elle soufflé sur le ton le plus lugubre que Léon ait jamais entendu. Si elle semblait faire preuve d’un véritable dynamisme lorsqu’il s’agissait d’envoyer rouler ses partenaires dans la poussière, elle faisait, au premier abord, montre d’une mauvaise volonté à en irriter plus d’un. Un soupire de plus. Il s’enjoignit au calme, cela ne lui ressemblait pas de s’énerver si rapidement. Peut-être était-ce là le résultat d’une trop longue exposition à l’animosité qui est coutumière aux Thêtas et au soleil, quoiqu’il en soit, il ne pu s’empêcher de réprimer un claquement de langue. Mauvais signe, très mauvais signe. Léon croisa les bras, bien décidé à ne pas lâcher l’affaire, il s’agissait d’un défi personnel. Il se demandait franchement de quelle ascendance pouvait être la demoiselle, et surtout, quel était son pouvoir pour qu’elle n’ait « pas envie » de s’en servir. Il ne lui semblait pas l’avoir déjà vue dans ses cours, et pourtant, à en juger par la magnifique ecchymose qui commençait à s’épanouir sur sa joue droite, elle aurait peut être bien fait de s’y inscrire. « Ok. Poses ton épée s’il te plait. » C’était vraiment le comble, depuis quand un Thêta refusait de faire étalage de son don devant les autres élèves sur le terrain d’entraînement ? Négliger son pouvoir n’avait rien de profitable, il avait vu d’autres demi-dieux prendre cette route là, et il n’en sortait souvent rien de bon.

Il prit un ton qu’il jugeait plus posé, il n’était pas nécessaire de sermonner son interlocutrice, elle n’avait pas l’air d’aimer ça et cette méthode là ne porterait probablement pas ses fruits. « Quel est ton don ? » Voilà qui avait le mérite d’être clair, il braqua son regard scrutateur sur Roshario. Non pas qu’il ait une envie irrépressible de lui ruiner sa journée, mais toute l’empathie qu’il éprouvait lui faisait dire qu’elle avait un problème. Ca ne pouvait être qu’un blocage, ou quelque chose de plus grave, et Léon n’avait pas franchement envie de rentrer dans son intimité, mais c’était son boulot de prof de tenir à jour un suivi sur les recrues, il ne pouvait pas se contenter de passer sa route comme si de rien n’était, même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait.