« La femme n'est pas en position de désir, elle est en position, bien supérieure, d'objet de désir. » Jean Baudrillard.

La femme. Tout démarre de la femme. Le mythe de la création par exemple. Chamboulé par Eve qui croqua la pomme que le serpent lui tendait. Kalypso est le Serpent. Shawn est Eve. Et quel que soit la forme que prend le Serpent, Eve succombera toujours à ce qu’il lui tend. Que ça soit le désir charnel, ou un désir plus égoïste comme la puissance. Il n’y a pas qu’une Eve sur Terre, pas qu’un Serpent en ces lieux. Chacun peut jouer ces rôles, que ça soit être un tentateur pour la vie, ou un tenté qui hésite.
Ces paroles prennent tous leurs sens particulièrement ici, au Camp. Peuplé de demi-dieux en quête de pouvoir et de reconnaissance, d’Eve en puissance. De Serpents, qui cherchent leur prochaine victime.
Depuis des mois Kalypso joue le rôle du Serpent. Cela fait des mois, aussi, que Shawn a croqué dans le Fruit Défendu.  Lui qui s’était interdit tout flirt, même léger, avec les étudiantes, le voilà qui succombe aux charmes d’une fille de Perséphone. Cela ne devait être qu’une attirance, qu’un flirt. Cela ne devait pas durer. Et pourtant très rapidement cela s’est mué en soirées à deux. Cachés, à l’insu de tous. Une relation interdite, émoustillante pour les deux. Shawn doit bien le reconnaître : il est incapable de lui résister. Quoiqu’Eve puisse faire pour  éviter la chute, elle ne fait que retarder l’échéance. Et l’enseignant l’a bien compris. C’est pour ça qu’il n’a pas mis fin à cette relation, née du pur fruit du hasard. Il devrait pourtant le regretter, mais ce n’est pas le cas.
Les sentiments. Ah, ces sentiments. Placardés, affichés dans son esprit aussi bien que dans son cœur. Il brûle de la voir, elle. Son cœur se consume lorsqu’il pense parfois, à tords, qu’elle va le laisser. Il est comme accro à elle. Kalypso, c’est sa drogue. Son Héroïne à lui. Son besoin d’aventure, sa quête de bonheur.
Oh, elle n’est pas à proprement parler quelqu’un d’agréable à vivre. C’est même plutôt le contraire. Mais Shawn ne s’en plaint pas. Après tout, il se sait chiant, parfois désagréable – quand il n’as pas son morceau de tarte, par exemple – et même plutôt borné quand il le veut. Il faut bien le dire. Kalypso ne serait pas Kalypso si elle était une femme douce et gentille. Non, elle n’est pas ce qu’on appelle une force tranquille. Et puis, Shawn a renoncé depuis longtemps à ce qu’elle le soit. Leur relation n’aurait pas la même saveur sans ça. Sans leur petit jeu teinté d’ironie. Sans leurs incessantes piques, leurs « tu m’aime ? moi pas » et leurs petits cœurs qui malgré ces taquineries manquent un battement lorsque leurs lèvres se touchent.
Ce sentiment d’insécurité. D’interdit, d’inavouable. Lorsqu’elle s’en va, Shawn repense à tout ça. A cette escapade qui finalement se mue depuis quelques semaines en une véritable relation amoureuse. Il a peur, peur des conséquences. Que se passera-t-il si l’un des professeurs l’apprenait ? Si les autres élèves l’apprenaient ? Serait-il mis de côté, laissé dans un coin comme une chaussette usée ? Peut-être serait-il banni ? Interdit de revoir Kaly ? C’est sa hantise à lui. Alors depuis plus de neuf mois, il s’oblige à garder le secret. Même la jeune femme l’a bien compris. Si quelqu’un est au courant, ces sentiments devront être… Cachés. Définitivement. Ils devront nier, ne plus se voir… Rien, aucun contact. Comme si tout cela n’avait jamais existé. Dans l’esprit du jeune homme, c’est impossible de nier tout ça. Oh, bien sûr, devant Kaly il fait comme s’il ne ressentait pas plus de chose qu’au début. Il continue à lui envoyer des piques, des taquineries. En public, il s’oblige à la traiter comme une étudiante normale. Et même cela, c’est dur depuis quelques temps.
C’est pour toutes ces raisons qu’ils se voient en cachette. Un soir dans son bureau, l’autre chez lui. C’est plus facile. Plus… Sécurisant. Même si chaque fois, il reste sur ses gardes. Ah, il aimerait tant que leur relation soit plus simple ! Mais en même temps, c’est toutes ces choses qui donnent envie de continuer. Parce que c’est très simple de mettre fin à une relation. Il aurait pu la repousser, invoquant n’importe quel prétexte, comme par exemple leur différence d’âge. Certes, pas énorme, mais l’année suivante, il serait trentenaire, alors qu’elle finirait ses études si elle vivait encore dans le monde humain. Il aurait pu donner la plus simple des excuses aussi. « On a pris du bon temps, maintenant je veux passer à autre chose. » Mais ça n’aurait jamais été que des mensonges. D’éhontés mensonges où lui-même aurait souffert, autant voire plus que Kalypso.
Ce soir cependant, il s’était senti d’humeur à forger. C’est pour cela qu’il s’était isolé au Bunker 9. Il y était depuis la fin des cours, et il n’avait pas vu le temps passer. Comme d’habitude quand il s’occupait. Il forgeait à présent un petit anneau d’argent qu’un fil d’or scindait en deux parties égales. Ce n’était qu’un anneau d’ornement, mais il commençait à bien l’aimer, ce petit morceau de métal.
Le Bunker 9, c’est un lieu qu’il adore. Pourtant ce n’est pas le genre d’endroit dans lequel on mettrait les pieds c’est sûr, mais Shawn se sentait à sa place entre les épées brisées et les âtres brûlants. Et surtout, avec ce calme. C’est paradoxal, mais lorsque les fers s’entrechoquent, le calme envahit son esprit. Il est complètement dans ce qu’il fait, et surtout, il ne se rend compte de rien. Mais en général, il ne craint rien dans le Bunker. Pourquoi ? Parce qu’il est dans le Camp, tout simplement. Et que même parmi les étudiants, il n’y a que les enfants d’Héphaïstos qui s’intéressent à ce lieu. Et surtout parce qu’à l’heure où il était, les étudiants vaquaient à d’autres occupations.
Il aurait dû se douter, d’ailleurs, qu’une étudiante aurait récidivé. Kalypso bien sûr. Celle qui envahissait ses pensées presque continuellement. Il lui suffisait de sentir cette délicate odeur de plante verte pour savoir qu’il s’agissait d’elle. Elle était là, derrière lui. Il le sentait. Mais il n’allait pas se retourner. Après tout, il risquait de se brûler –qu’elle blague– et puis, ça lui laissait l’occasion de terminer l’anneau.  Et il aimait bien lui faire croire qu’il ne savait pas qu’elle était là. Parce qu’il savait qu’elle en profitait pour l’observer sous toutes ses coutures.  
« Bouh. » Il se retourna vivement, imitant parfaitement la surprise. Un sourire taquin, imitant celui de la belle, vint se dessiner sur les lèvres du brun. « Dis donc, tu n’as pas très bonne mine aujourd’hui mon chaton. Fatigué, peut-être? » Il posa l’outil qui était encore dans ses mains. Inévitablement son regard était attiré ailleurs, mais à force d’habitude, le marteau ne tomba pas au sol. « Ne t’en fais pas, je t’ai apporté de la tarte. » Voilà qui le fit reprendre ses esprits ! Une tarte ! Son regard pétilla un instant. « Tu y as pensé ? » Déception immédiate. « Non, je rigole. » Elle se jouait de lui. « Tu devrais savoir qu’on ne plaisante pas avec la tarte ! » Lui dit-il, arborant une moue boudeuse, et croisant les bras sur son torse.
« Tu sais que tu as été plutôt difficile à trouver, mon lapin. Ne me dis pas que tu te cachais. » Le sourire revint, tandis qu’il décroisait les bras. « Moi ? Me cacher ? Comme un lapin peureux ? » Il se mit droit, surplombant la jeune femme. « Tu ne me connais pas, on dirait ! » Il résista à l’envie de s’approcher d’elle encore plus. D’oublier ces quelques centimètres qui les séparaient. Mais leur fierté l’en empêcha. Alors, il recula d’un pas.

La tentation, là, si proche de soi qu’il suffirait de tendre la main pour l’attraper. Aussi exquise qu’un bonbon, la voilà qui s’approchait encore et encore. Un rythme lent, régulier. Un comportement de prédateur qui sait que sa proie ne lui échappera pas. Un prédateur scrupuleux, intelligent, qui ne laisse d’autres traces qu’un exquis parfum dans l’air. Un serpent qui scrute sa proie, l’air sincèrement heureux de ce qu’il observe. Un sourire taquin sur les lèvres de la jeune femme, et le serpent disparait. Aussi subtilement qu’un changement dans l’air.
Kalypso. Aussi divine que sa mère, aussi redoutable que l’amant détesté par celle-ci. Une relation dangereuse, dévastatrice. Telle mère, telle fille. Serait-ce le simple fait du hasard, ou les Dieu s’amusent-ils à nouveau ? Heureusement pour la jeune femme, son amant n’est autre qu’un fils d’Héphaïstos. Moins dangereux, cependant. Mais tout aussi enflammant.
Depuis qu’il sent ses sentiments devenir plus puissant, il espère se cacher d’elle. Mais elle reste là, toujours, au fond de ses pensées. Il ne supporte pas cette situation, et il se cache sous des prétextes futiles pour réfléchir. Il ne veut pas inquiéter Kalypso, mais il sait malgré tout qu’elle est au courant. Même sans s’adresser la parole, ils se comprennent mieux que quiconque. C’est… Fusionnel, à tous les niveaux. Ils en deviendraient télépathes que ça ne les étonnerais même pas. Mais ça l’empêche de penser librement. Parfois il se dit simplement que ce qu’ils font n’est pas mauvais, qu’ils sont tous les deux majeurs et consentants. Mais une petite voix dans sa tête l’oblige à réviser son jugement. Elle est toujours étudiante. Elle est presque là mais il manque ce petit quelque chose, ces quelques mois, ces 3 épreuves. Et là, Shawn sait qu’il n’aura plus à les cacher, ses sentiments. Ces baisers volés le matin, entre deux cours, le soir… Tout cela pourra exister, et être montré. « Tout ce qui vous es caché vous sera révélé. »
Elle était là à ses côtés. Devant lui, s’accrochant à son vêtement, comme un chat planterait ses griffes pour empêcher son festin de fuir. « Oh non, tu n’es certainement pas un lapin peureux, encore moins un lapin... » Il essaya de reculer, mais pris au piège il ne sut qu’éloigner sa tête légèrement. Il ne voulait pas vraiment fuir. Après tout, qui fuiraient devant elle ? Beaucoup de gens. Murmura une voix dans sa tête. Il était au courant de la réputation de Kalypso. Il en entendait des vertes et des pas mûres sur elle et ses relations plus qu’étranges avec les autres étudiants et même les autres professeurs. Il acquiesçait bien sûr. Après tout, il fallait bien ça pour que tout le monde continue à ne pas savoir.
Mais la réalité était tout autre. Malgré leurs caractères respectifs et leur besoin presque inlassable de se faire mal, il sait qu’elle l’aime. Oui, il en est persuadé. Cela ne pourrait en être autrement. Cela n’aurait jamais pu durer si longtemps si ça n’avait pas été le cas. Elle l’aurait laissé tomber au début, ou même, peu après qu’ils se soient rendus compte de leurs sentiments. Ç’aurait été moins cruel que de faire semblant. Et puis. Il suffit de voir jusqu’où elle avait été le chercher. L’endroit, même s’il était charmant aux yeux du fils d’Héphaïstos, c’était tout à fait le contraire pour la fille de Perséphone. Une telle classe dans un endroit si… Rustre ? C’en était presque risible et incongru. Mais ils étaient à l’abri là-dedans. Et pour eux, c’était ce qui comptait. « … Les lapins ont peur de l’eau, certes, mais ils savent nager, eux… »  Et voilà. Ça recommence.
Shawn se mit à rire. Jaune. Ah, il déteste ne pas savoir nager. Mais en même temps, il sait qu’il ne peut pas être bon partout. C’est probablement de la vantardise, mais plus jeune, ce fait l’handicapait plus qu’autre chose. Finalement il avait surmonté tout ça, mais il n’avait jamais eu le loisir d’apprendre à nager. C’est pour ça qu’au début il refusait de retrouver Kalypso au lac. Il ne voulait pas qu’elle le sache. Mais irrémédiablement, elle l’avait appris. Peut-être en fouinant du côté d’Hedge ?  Non, ça n’était pas possible. Il était trop proche de Shawn que pour ne pas s’interroger du subit intérêt de Kalypso pour le professeur de combat. « C’est facile ça. Mais au moins, ton lapin il n’est pas effrayé à l’idée de se casser un ongle.  » C’était facile. Toutes les filles prenaient soin d’elles-mêmes. Mais ça n’en restait pas moins une vérité, et il savait en regardant Kalypso qu’elle était du genre à faire attention à son apparence. Et qu’elle horreur pour une fille que d’avoir un ongle si bien bichonné, arraché.
« Non, enfaite, tu vois Shawn…Tu es plutôt un chaton. Tout petit, plus mignon qu’effrayant, inoffensif, qui ne sait pas nager et qui adore les gourmandises… Est-ce que j’ai oublié quelque chose? » Un chaton ? Il ne manquait plus que ça. Le grand brun pouffa de rire. Mais la suite de son portrait lui montra à quel point elle le connaissait bien. Et il cessa illico. A la place il se mit à marmonner dans ses dents et à afficher une moue boudeuse. « Ouais, c’est ça. Et t’es venue pour quoi, faire la psy ? » Dit-il en croisant les bras sur son torse, tandis qu’elle se mettait à voyager à travers la pièce. A la place, il se posa à moitié sur l’établi. Il repoussa son marteau plus loin, histoire d’avoir de l’espace. Et puis, de là où il était, il pouvait observer la jeune femme tout son soûl. Quand elle se retourna d’ailleurs, ses yeux plongèrent dans le regard noisette de la damoiselle et y restèrent scotché le temps qu’elle se rapproche de lui. Sans rien dire, elle s’installa sur la table à son tour. Et ses mains touchèrent l’anneau. Un anneau qui en soi n’avait pas d’effet. Il n’était même pas « beau ». C’était juste un banal anneau d’argent. Mais dans les mains de la belle, il devenait comme brillant, illuminé de l’intérieur. Du moins c’est ce que ressentait le demi-dieu. Peut-être en était-il autrement pour la jeune femme ? Peut-être pensait-elle qu’il était destiné à une autre jeune femme ? Shawn avait du mal à croire à de la jalousie, et pourtant. Ça lui faisait… plaisir. Plaisir, parce que ça voulait dire qu’elle avait peur de le perdre. « Passons le moment où tu prétends que je ne te connais pas ou pas assez. Ce n’est pas comme si je n’avais déjà tout vu ce qu’il y à voir, de toute façon… » Son sourire se fit taquin. Evidemment qu’elle avait vu. Le contraire eut été étrange après tout ce temps. Il ne prit pas la peine de répondre. Après tout, qu’aurait-il à répondre à ça ? C’était la stricte vérité.
Puis il croisa à nouveau son regard. Elle lui tendait l’anneau, sans un mot. Mais cette absence de paroles ne rendaient pas moins inexpressif ce geste. Il savait ce qu’elle voulait. Alors il le prit. Il l’observa sous toutes les coutures. Cet anneau, il n’avait toujours rien de spécial. Et pourtant. L’anneau, c’est associé à tellement de choses. Ça aurait pu être un cadeau d’anniversaire couteux, hors du Camp. Cela aurait pu être une bague de fiançailles, ou même de mariage. Mais rien de tout cela ne venait enrichir l’histoire de cet anneau. Il n’était que le fruit du travail d’un homme, passant son temps dans sa passion. « Ne t’en fais pas. » Aussi simple que cela. Il avait hésité un instant à le lui offrir. Mais à ces yeux, cet anneau n’était pas grand-chose. Il n’avait ni effet ni beauté. Ou du moins, pas assez de beauté pour être offert à Kalypso. « Mais si il te plait, prend le. » Pour une fois, ni taquinerie ni pique, juste la vérité. Et l’envie de l’approcher.

Le désir. C’est aussi simple que ça. Ça n’était que ça. C’est ce sentiment qui les a tenus si longtemps en haleine. Ce sentiment, trahis dans chacun de leurs gestes. Leurs baisers volés, leurs attitudes. C’était facile de remarquer toutes ces attentions que le professeur ne manquait pas d’adresser à son étudiante préférée. Mais pourquoi quelqu’un y aurait prêté attention ? Après tout, il s’efforçait d’être pareil à lui-même en public.  Mais Kalypso savait. Ces regards qu’il lui lançait discrètement. Ces regards qui veulent tout, et rien dire. Ces regards qui se croisent et se comprennent, sans un mot. Ils ont appris à se parler comme ça. Un peu par obligation. Et puis, parce qu’ils ont l’habitude de se taquiner. On ne se taquine pas avec les yeux. On aime avec les yeux. On soupire avec la bouche. On raisonne avec l’esprit, mais surtout… On tombe amoureux de tout son cœur.
Et les regards qu’il lui lançait depuis qu’elle était arrivée étaient équivoques. Ils tournaient tout deux autour du pot, sans jamais vouloir dire tout haut ce que leurs cœurs disaient tout bas. Comme un murmure, comme une caresse. Comme une pique, comme une déchirure. Entre eux ça ne saurait être autrement. Pas maintenant. Pas si tôt.
Oh, cela faisait bien des mois qu’ils étaient irrésistiblement attirés l’un par l’autre. Et pourtant si peu de temps que les sentiments s’étaient accrus.  Si seulement ils n’étaient pas apparus, Shawn n’aurait pas été pris de remords. Ils auraient continués comme si de rien n’étais. C’est ce qu’ils essayent de faire, bien sûr. Mais on ne ment pas avec les yeux.
« C’est facile ça. Mais au moins, ton lapin il n’est pas effrayé à l’idée de se casser un ongle. » Elles sont toutes comme ça. Elles se pomponnent et adorent quand on remarque leur effort. Quand on les complimente. Mais Shawn ne serait pas Shawn s’il faisait des compliments si facilement. Elle ne serait pas Kalypso si elle s’en retrouvait choquée. Et puis, elle le lui rend si bien !
« Tu dois admettre que ce sont de jolis ongles, quand même. Ça serait honteux de les abîmer.  » Oui ce sont de jolis ongles. Ça n’est pas Shawn qui dira le contraire, certainement pas. Il a toujours trouvé que Kaly était d’une beauté renversante, et qu’elle prenait soin d’elle jusqu’au bout des ongles. Si elle faisait ça, ça n’était certainement pas pour voir son travail –du moins, c’est ce que pensais Shawn– gâché. Après tout, lui, il n’y connaissait rien en manucure. Il suffisait de voir ses ongles, propres, oui. Mais il n’allait pas se mettre du vernis, ça certainement pas.  « Oh, je ne dis pas le contraire, princesse. » Il ajouta ce dernier mot en riant. Dans sa bouche et sur le coup, ça paraissait plus une pique qu’un compliment… En bref, exactement l’effet recherché. Une princesse, quoi de plus superficiel ? Une princesse, quoi de plus… Démodé. C’est pour les enfants, les princesses. Bien sûr, Kaly correspondait un peu à la définition d’une princesse, côté caractère et même physiquement, elle n’était pas banale. Mais Shawn ne l’appellerait jamais princesse, hormis pour se moquer –gentiment.–
« Non, enfaite, tu vois Shawn…Tu es plutôt un chaton. Tout petit, plus mignon qu’effrayant, inoffensif, qui ne sait pas nager et qui adore les gourmandises… Est-ce que j’ai oublié quelque chose? » L’art de taper juste. Trop souvent, d’ailleurs. Et surtout, l’art et la manière de bouder, version Shawn. « Ouais, c’est ça. Et t’es venue pour quoi, faire la psy ? » Il marmonnait. Et ça n’était pas forcé, tout simplement parce qu’il n’aimait pas qu’on lui rappelle que niveau natation, c’était un boulet. Et puis surtout parce qu’elle ne cessait de le taquiner la dessus. « À toi de me le dire ; as-tu besoin d’une psy? » Avoir besoin d’un psy ? Il ne put s’empêcher de rire. Qu’aurait-il dit à un psy ? « Oh bonjour, je suis un demi-dieu et je sais pas nager » ? La grosse blague. Et puis, il faut bien l’avouer. Shawn n’est pas un garçon à parler de lui. Enfin, pas vraiment. Parfois pour faire le fanfaron et le vantard, si. Mais jamais il ne parlerait à un psy de lui. Il n’aurait rien eu à lui dire. Son enfance s’était bien passée, son adolescence était… A moitié banale, notamment du à son arrivée au Camp. Et bon, il savait n’avoir aucun problème, si ce n’est celui d’aimer. « Non, bien sûr que non.» Il avait dit ça un peu précipitamment, malgré qu’il en était persuadé. Et puis, un psy, ce n'est pas drôle.
Le silence se fit, quelques instants. Un court moment où leurs regards prirent le dessus sur les mots. Un instant pendant lequel seul le silence suffisait, les mots disparaissaient. Elle lui tendait l’anneau qu’il venait de finir. De facture plutôt commune, il n’était pas aussi gracieux que certains qu’il avait fait auparavant. Mais il lui ressemblait plus. Brut, naturel, simple. Bien sûr ça n’était qu’une partie de lui-même, mais ces trois petits mots lui convenaient autant qu’à ce morceau de métal. « Ne t’en fais pas.» Il avait dit ça simplement. Cet anneau n’était destiné à personne, vraiment. Il souhaitait simplement se changer les idées. Si la création de cet anneau avait eu un but, comme par exemple être offert à une autre dame, jamais il ne l’aurait laissé à la vue de Kalypso. Il l’aurait caché. Mais ça n’était pas son genre, de courtiser deux femmes à la fois. Et puis, avec Kaly, il faut avouer qu’il avait bien assez. Il l’aimait, c’est certain. Mais il n’aurait jamais eu assez d’amour en lui pour l’offrir à quelqu’un d’autre. Il avait beau être un dragueur, cela faisait plus partie de sa manière d’agir avec les gens que d’un réel désir de draguer tout ce qui bouge. Tout simplement, il détestait les gens qui pouvaient aimer deux personnes à la fois. Si tu aimes réellement la première, tu ne tombes pas amoureux de la seconde. C’est ainsi dans l’esprit de Shawn.
« Mais si il te plait, prend le. » Voilà. Après tout il pouvait plaire à la demoiselle, même si il en doutait quelque peu. Elle lui semblait trop délicate pour mettre cet anneau à son doigt. Ça n’était après tout qu’un morceau d’argent.
« Tu sais pour quelqu’un dotée d’une telle… dextérité, j’aurais imaginé que tu aurais pu façonner quelque chose d’un peu plus… gracieux. » Il se mit à sourire, de nouveau à cause de l’allusion. Il savait que cet anneau n’avait rien d’exceptionnel : il était capable de mieux. Mais malgré tout, ça avait l’air de suffire à la jeune femme. Il n’avait pas entendu le tintement léger que l’argent faisait lorsqu’on le posait sur une surface plane. Mais ça, il ne ferait pas de remarque. Non, parce qu’il aimait le fait qu’elle le garde, parce qu’il venait de lui. Et que, s’il le lui faisait remarquer, elle allait le reposer et le laisser là. Par pur esprit de contradiction, et peut-être même parce qu’elle aurait été vexée.
« Je suis capable de bien mieux, c’est vrai, tu en sais quelque chose.» L’allusion venait de lui, cette fois. Ornant ce sourire taquin à présent si familier, il fit tout d’abord pour se pencher vers elle mais se ravisa. Il profita du mouvement de la jeune femme pour que son propre rapprochement passe inaperçu.  « C’est dommage que je n’ai rien à t’offrir à toi… » Son sourire s’élargit jusqu’à illuminer les yeux du demi-dieu. Il savait ce à quoi elle faisait référence. Après tout, depuis le début de la conversation, il s’agissait de ça même si aucun des deux ne le disait clairement. Ça n’était pas leur genre. Mais elle s’approcha de lui, doucement, délicatement. Sans cesser de l’observer comme la proie qu’il était. Enfin, uniquement lorsqu’il était face à elle. Il préférait être le prédateur, mais avec elle, ça avait toujours été différent. Rien n’était facile avec eux. Lorsqu’il la vit se rapprocher donc, il n’eut qu’une envie : celle de l’embrasser. Mais même à ses yeux ça lui semblait trop facile et rapide. Pourtant… « Cette pièce pue l’humidité. On devrait prendre l’air. Le lac, par exemple. » Mais ceci suffit à lui sortir cette idée de la tête –pour le moment bien sûr.–
Il n’aimait pas le lac. Il le détestait, car tout ça lui rappelait que non, il ne savait pas nager. Plus d’une fois il avait voulu apprendre… Mais le fait est que sa fierté en prenait un coup. Pourquoi ? Parce que les autres eux, avaient déjà appris depuis leur plus jeune âge. Lui, à presque trente ans, il ne savait pas nager. Mais bizarrement, il préférait rester dans l’ignorance plutôt que d’aller à un seul cours de natation. Et puis, presque personne n’est au courant. C’est tant mieux, parce qu’il détesterait avoir à faire à des moqueries là-dessus de la part des autres demi-dieux. Il n’aimait pas nager, point. Il n’était pas aquaphobe, mais il ne savait pas nager, soit. Ce n’était pas une tare après tout. Si sa vie en dépendait, là, il ferait des efforts bien sûr. Mais en attendant, ce jour n’est pas près d’arriver. « Le lac ? Mais bien sûr. A cette heure-ci il fait siii froid dehors.» Oh, il pouvait très facilement augmenter la température –de bien des façons– mais clairement, aller au lac, il n’en avait pas très envie. Et le bunker, bien qu’un peu humide lui plaisait plus que le lac. Surtout qu’ici, ils étaient à l’abris des regards.